Nous vous présentons le premier d’une liste de personnages d’intérêt, soit le curé Antoine Labelle. On ne peut que constater l’ampleur du personnage, de son influence, de sa popularité et de sa contribution au développement industriel en consultant sa correspondance riche et variée qu’il a entretenue avec des personnages importants de son époque, du Canada et d’outre-mer.

D’ailleurs, le 15 janvier 2016, la ministre Hélène David annonçait la désignation du curé Antoine Labelle comme personnage historique à Saint-Jérôme. À l’occasion du vernissage de l’exposition intitulée « Les stations du curé Labelle », la ministre de la Culture et des Communications et ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française, madame Hélène David, en présence de la ministre des Relations internationales et de la Francophonie et ministre responsable de la région des Laurentides, madame Christine St-Pierre, a procédé à la désignation d’Antoine Labelle comme personnage historique. Ce geste symbolique, posé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, coïncide avec le 125e anniversaire de son décès.

Le curé Labelle est né le 24 novembre 1833 à Sainte-Rose. Il est le fils d’Antoine Labelle, cordonnier, et d’Angélique Maher. Il fait ses études classiques au Petit Séminaire de Sainte-Thérèse de 1844 à 1852. Il y poursuit ses études en théologie jusqu’en 1855, puis fait une année au Grand Séminaire de Montréal. L’abbé Antoine Labelle recevait l’ordination sacerdotale dans son village natal le 1er juin 1856, avant même d’avoir atteint l’âge canonique requis.

Il occupe la fonction de vicaire à la paroisse du Sault-au-Récollet de 1856 à 1859. Ensuite, il restera trois mois à la paroisse Saint-Jacques-le-Mineur. Il devient par la suite le curé de Saint-Antoine-Abbé dans le comté d’Huntington. En 1863, il est délocalisé vers la paroisse de Saint-Bernard-de-Lacolle à proximité de la frontière américaine. Il assiste, impuissant, à l’exode de ses compatriotes qui partent vers les États­-Unis pour trouver du travail. C’est durant cette période qu’il fait la connaissance de l’historien et sociologue français François-Edme-Rameau de Saint-Père à qui Labelle attribue l’inspiration de son grand rêve de reconquête du sol par les Canadiens français.

Le 15 mai 1868, Labelle est nommé curé de la paroisse de Saint-Jérôme : il y passera 22 ans. Jouissant d’une grande influence au sein du parti conservateur, le chef spirituel de la paroisse la plus populeuse du comté de Terrebonne entreprend alors son ambitieux projet. Déterminé à endiguer l’exode de ses compatriotes, Antoine Labelle s’investit corps et âme dans son œuvre de colonisation.

Le chemin de fer est, sans contredit, le principal levier de son projet. Il espère relier la région des Laurentides, non seulement à Montréal, mais à l’ensemble du Canada. Il travaille donc à la construction de la ligne de Saint-Jérôme, mais aussi à celle du Canadien Pacifique, de la ligne Ottawa-Montréal, de la ligne Québec-Montréal ainsi que celle du Grand Tronc du Nord. On disait à l’époque que le curé Labelle était le bras droit de sir Hugh Allan, président de la Compagnie du chemin de fer à lisses de la colonisation du nord de Montréal, l’un des entrepreneurs en chemins de fer les plus importants Canada.

Lors de l’inauguration officielle de la ligne de Saint-Jérôme–Montréal, l’une des deux locomotives est nommée « Révérend A. Labelle » en signe de reconnaissance pour son travail. Pour le curé Labelle, un réseau de chemins de fer permettrait le développement du commerce en décuplant le volume et la rapidité du transport des cargaisons de marchandises en plus de faciliter la vie des colons isolés dans ces territoires éloignés et de permettre d’en établir de nouveaux.

Il profite de toutes les occasions qui se présentent pour promouvoir le train et faire valoir ses avantages. La célèbre corvée du 18 janvier 1872, organisée par le curé Labelle, montre bien la personnalité hors du commun du célèbre « Roi du Nord » et illustre sa détermination. Le rude hiver de 1871-1872 provoque une pénurie de bois de chauffage à Montréal. Le curé de la paroisse de Saint-Jérôme use de son pouvoir de persuasion et parvient à convaincre « ses paroissiens » — dont plusieurs sont propriétaires de terres riches en bois de chauffage — d’offrir en aumône aux citadins de Montréal le précieux combustible. L’appel est entendu et, très tôt, le jour convenu, un convoi de quatre-vingts traîneaux chargés de bois met le cap sur Montréal. Ce fut tout un spectacle pour les gens de la grande ville de voir ce convoi tombé du ciel mené par le curé Labelle et transportant du bois de chauffage venant du Nord.

L’échevin Ferdinand David les reçoit à l’hôtel Jacques-Cartier et leur offre un banquet. Le curé Labelle ne rate pas l’occasion de signifier les avantages que procurerait un chemin de fer reliant les deux villes :

« Je sens que la province a besoin d’un chemin de fer dans le Nord et que nous devons ne reculer devant aucun sacrifice pour l’obtenir. L’émigration aux États-Unis nous dévore. Nos ressources restent inertes dans les entrailles de la Terre. Notre bois pourrit sur le sol. Allons-nous périr au milieu de l’abondance ? Non, messieurs. Pour nous développer, il nous faut des industries, il nous faut des chemins de fer. Qui veut la fin doit prendre les moyens. Nous sommes solidaires les uns des autres. Si, dans le Nord, on nous laisse en souffrance, toute la province et tout le pays en seront affectés… Nous avons besoin du chemin de fer dans le Nord, comme dans le Sud. Nous sommes aussi intelligents et aussi industrieux que ceux du Sud. Qu’on nous donne les mêmes moyens d’action et nous le prouverons. C’est ainsi que nous pourrons devenir plus tard les rivaux des Anglais et des Américains dans le commerce et l’industrie. » 1

Le 16 septembre 1876, le curé Labelle est exaucé, un premier train entre en gare à Saint-Jérôme.

Préoccupé par l’avenir de ses concitoyens, il s’efforce de leur garantir des emplois stables. Au fait du potentiel énergétique offert par la rivière du Nord et des avantages que procure le nouveau chemin de fer, il souhaite attirer des entreprises dans la région. Habile négociateur, il parvient à convaincre l’honorable Jean-Baptiste Rolland d’y implanter une fabrique de papier fin. La Compagnie de Papier Rolland ouvre ses portes à Saint-Jérôme en mai 1882. Ce sera la première usine de papiers fins de qualité au Canada.

Impliqué dans le développement économique de sa région, mais également dans celui de la province, il contribue, de près ou de loin, au développement de multiples industries, notamment l’industrie minière, celle du fer et des pouvoirs d’eaux. Il s’emploie également à promouvoir le projet de création d’une voie navigable sur la rivière du Nord.

Homme de terrain, Labelle explore lui-même la forêt, à pied ou en canot, au côté de son fidèle compagnon Isidore Martin. Ensemble, ils organisent une quarantaine d’expéditions, certaines s’étalant sur une période de trois à quatre semaines. Ces équipées avaient pour objectif de déterminer l’emplacement des futures paroisses vers lesquelles se dirigeraient les nouveaux colons.

Le curé Labelle emploie tous les moyens à sa disposition pour réaliser son projet de colonisation. Il fonde la Société de colonisation du diocèse de Montréal en 1879. En 1884, il crée une loterie nationale de colonisation dont les profits sont destinés à venir en aide aux colons qui n’ont pas les moyens de s’établir par eux-mêmes. Au cours de sa vie, il fondera 29 cantons et plus de 31 paroisses, établissant dans les Laurentides des milliers de colons.

Il s’intéresse également à l’agriculture et à l’amélioration de ses techniques. Il donne quantité de conférences portant sur l’industrie laitière, l’élevage et l’amélioration de la race chevaline et bovine.

En 1885, mandaté par le gouvernement fédéral, Antoine Labelle entreprend un voyage en Europe (France, Belgique et Suisse) dans le but de créer et de stimuler un courant d’immigration française au Québec et dans l’Ouest canadien. Il s’emploie également à favoriser les échanges économiques entre la France et le Canada. Il revient au pays accompagné d’une délégation venue de France et de Belgique. Composé de 60 personnes issues du monde de la politique, des lettres et des affaires, ce groupe de représentants du Vieux Continent est invité à faire connaître le Canada outre-Atlantique.

Bien qu’il soit politiquement d’allégeance conservatrice, en mai 1888, le curé de Saint-Jérôme accepte l’offre du premier ministre libéral Honoré Mercier qui lui propose d’occuper la fonction de sous-ministre au ministère de l’Agriculture et de la Colonisation. Un des rares, sinon le seul ecclésiastique de son époque à avoir occupé une fonction ministérielle au sein du gouvernement. Mercier le recrute pour ses compétences et sa droiture et non pour ses allégeances politiques.

« L’organisation du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation, l’amélioration des lois des terres de la couronne, l’augmentation des octrois pour la colonisation, la construction des chemins de fer dans l’intérieure de la province, la diffusion de renseignements sur notre province dans les pays étrangers pour amener chez nous une saine immigration et élever notre crédit sur le marché financier du monde, la consolidation des rapports de l’église et de l’état, un nouvel élan donné à l’agriculture, la création du mérite agricole, voilà le vaste champ où s’est exercé, en général, mon zèle et mon dévouement pour le pays. » 2

Dans le cadre de ses fonctions de sous-ministre, il effectue en 1890 un second voyage en Europe afin de régler plusieurs dossiers officiels, poursuivre les initiatives d’immigration et d’échanges économiques entre les pays francophones d’Europe amorcées lors de son premier voyage et finalement, régler quelques dossiers à Rome.

À l’été de 1889, il est élevé à la prélature par le pape Léon XIII comme protonotaire apostolique avec le concours du premier ministre Honoré Mercier. Il se voit également gratifié du titre honorifique de Monseigneur.

Tout au long de sa vie, le curé Labelle aura de précieux collaborateurs et amis ralliés à sa cause. Pour n’en nommer que quelques-uns, mentionnons le pamphlétaire anticlérical, écrivain et journaliste Arthur Buies, l’historien et sociologue français François-Edme-Rameau de Saint-Père, mentionné plus haut ainsi que le célèbre géographe français Onésime Reclus, à qui l’on doit le mot « francophonie ».

Antoine Labelle décède le 4 janvier 1891 à Québec et est inhumé quatre jours plus tard à Saint-Jérôme dans la crypte de sa chapelle où il repose toujours. La cérémonie funéraire du curé Labelle fut imposante et fit l’objet d’une large couverture par les médias canadiens et européens de l’époque. En plus de la population, nombre de personnalités politiques, des membres du haut clergé et des représentants du monde des affaires étaient présents pour rendre un dernier hommage à cet immense personnage.3

La nouvelle se répandit dans toute la France : « Le Grand homme canadien est mort », article paru dans un grand nombre de journaux français. Fonds famille Prévost, SHRD P020, S04, SS03, 002

Sources :

1 Cécile Prévost-Lamarre, Par monts et vaux : À la suite du Roi du Nord, Saint-Jérôme, Éditions de l’Avenir du Nord, 1941, p.17.

2 Extrait d’une lettre du 26 décembre 1890 adressée au premier ministre Honoré Mercier (CA M001 BM068 — Fonds Antoine Labelle. — 1888-1891, Ville de Montréal. Section des archives)

3 « C’est la plus belle cérémonie funéraire dont il soit fait mention dans nos annales canadiennes, sauf peut-être celle de feu Sir George Étienne Cartier », La Minerve, 9 janvier 1891, page 2.