Une carte postale, c’est beaucoup plus qu’un bout de carton sur lequel on imprime une image. C’est une histoire à découvrir, une histoire à se rappeler ou à rêver et parfois à s’émouvoir. Que suscite en vous cette majestueuse demeure ?

Photo : Ludger Charpentier, c. 1940, coll. Jean-Pierre Bourbeau

« La Fougeraie », c’est le nom qu’avait donné à sa résidence un de ses plus célèbres propriétaires, Jean Clovis Lallemand. Il était souvent de coutume, dans la bourgeoisie canadienne et européenne, d’attribuer un nom significatif (je le suppose) à sa résidence, principale ou secondaire. Elle était si­tuée sur les rives du grand lac de l’Achigan, à Saint-Hippolyte. Plusieurs l’ont connue sous le nom d’Auberge des Cèdres, après la fin des années 1970.

Jean C. Lallemand était un riche industriel de Montréal. Son père, Frédéric Alfred Lallemand, avait fait fortune dans la création d’un substitut du beurre et de levures industrielles qui servaient dans les boulangeries et l’industrie alimentaire, partout en Amérique et en Europe. Jean Clovis avait bien sûr pris la relève dans la conduite des affaires de son père, mais il passait aussi beaucoup de temps à s’occuper d’œuvres philanthropiques.

Citons parmi les plus connues l’Orchestre symphonique de Montréal, qu’il a cofondé. Il fut aussi impliqué à l’Institut Bruchési de Montréal dont il fut le président du conseil d’administration, au début des années 1940. La date d’acquisition varie selon les auteurs, mais chose certaine, au début des années 1930, il était propriétaire du terrain et des bâtiments qui étaient sur le domaine de la Fougeraie. En hiver, il a fait déménager par la glace du lac gelé les deux résidences secondaires qui s’y trouvaient : l’une aurait appartenu au curé de l’époque et l’autre au maire. M Lallemand fit construire

Jean C. Lallemand Fonds P109 Maison Castonguay, HAL

cette superbe demeure que nous voyons sur la carte postale pour en faire une demeure confortable et luxueuse. Dans le cadre enchanteur de son domaine, sur le bord du lac de l’Achigan, il accueillait aussi les personnages célèbres qu’il côtoyait à l’occasion de ses diverses activités d’affaires ou de philanthropie. Durant les premiers jours de mai 1942, il accueillit pour une fin de semaine le célèbre auteur Antoine de Saint-Exupéry. La légende veut que celui-ci, en se promenant autour de la Fougeraie, y aurait pris quelques idées pour un personnage de son Petit Prince en rencontrant des citoyens de Saint-Hippolyte. La photo ci-contre nous présente M. Lallemand dans les années ’40.

De 1948 à 1951, la famille Racicot fut propriétaire des lieux. L’auberge était bien connue de la bourgeoisie montréalaise d’alors et on venait pour y retrouver le calme de la nature, dans une discrétion parfois né­cessaire. Le propriétaire suivant (1951-1964), Julius Block, un ingénieur, aménagea la grande salle à dî­ner. Il fit venir de Hollande un bois précieux qu’il a fait sculpter.

D’autres propriétaires s’y succédèrent, jusqu’à ce que Thérèse et Jean Duval acquièrent la rési­dence, en 1977. Les nouveaux propriétaires étaient des restaurateurs français venus de Normandie. Ils firent alors connaître de nouvelles heures de gloire à cet établissement nommé par eux l’Auberge des Cèdres. Les Duval ont réussi avec leurs cuisiniers, Mme Andrée Renaud, M André Schott et M François Lévesque, à faire de cet établissement un des meil­leurs restaurants gastronomiques du Québec. Plaisir des papilles assuré !

L’auberge comportait aussi quelques chambres à l’étage. En 1987, Mme Du­val était la première femme à être reçue chef-canardière de l’Ordre des canar­diers. Fondé en 1986, cet Ordre gastro­nomique français avait vu le jour dans le but de supporter les restaurateurs dans le monde qui préparaient le fameux « canard à la rouennaise », préparé pour la sauce avec le sang du jeune canard. C’était un jour de grande fête lorsqu’on allait passer une soirée à l’Auberge des Cèdres. En 2003, le couple abandonna les affaires et l’auberge des Cèdres fut vendue à un particulier qui en fit alors sa résidence privée.

Auberge des Cèdres

Que de belles histoires et de secrets se cachaient donc derrière cette simple carte postale ! L’auriez-vous cru ? Peut-être ? Pour moi, c’est un souvenir impérissable et émouvant que de m’être retrouvé dans la grande salle à manger, un soir de fête, dans les années ‘80. Alors, levons un verre à ces propriétaires qui ont fait de la Fougeraie un bijou de l’histoire de Saint-Hippolyte et des Laurentides.

Cartophilement vôtre !

Jean-Pierre Bourbeau
Administrateur
Histoire et Archives Laurentides

 

Références :
Journal Le Sentier, de Saint-Hippolyte :
– Mai 1991
– Janvier 1994
– Décembre 1996
– Février 2004
Article sur Jean C. Lallemand dans l’encyclopédie en ligne Wikipédia.
Pierre Desjardins, historien : dans le résumé d’une conférence donnée en novembre 2018