Depuis vingt ans, l’humour-spectacle est une véritable industrie au Québec. Auparavant, et encore mainte­nant, l’humour se retrouvait aussi à la télévision, dans les journaux ou à la radio, au cabaret, et bien sûr dans la vie quotidienne de chacun. Mais pourquoi donc ? Tout d’abord, pour certains anthropologues et philo­sophes, le rire et l’humour sont le propre des êtres humains, du moins de l’homo sapiens. Le rire social apparaît chez l’enfant vers la fin de la première année de vie, bien que le rire comme réaction à une situa­tion apparaisse vers quatre mois. Pour l’être humain, l’humour est un outil pour entrer en contact avec ses semblables ou une façon de mettre à distance de soi une situation difficile à vivre ou à accepter.

L’utilisation du mot humour, en français, a une histoire qui est fort intéressante. Au XVIIIe siècle, l’utilisation du mot est attestée en français. Cependant, aupara­vant, les Anglais avaient emprunté l’ancien mot fran­çais « humeur », qui avait le sens de disposition à la gaieté, qui est devenu « humour ». Au XVIIIe siècle donc, le mot a retraversé la Manche jusqu’en France et a gardé ce sens, alors que le mot humeur a évo­lué pour désigner plutôt notre disposition à la tristesse et l’irritabilité que notre disposition à la gaieté comme c’était le cas en ancien français [1]. Chose certaine, au­jourd’hui l’humour est utilisé pour provoquer le sourire, le rire même, et pour donner du plaisir à celui vers lequel il se dirige.

Au plan pictural, les archéologues ont découvert des dessins de plusieurs milliers d’années auxquels on a pu donner un sens humoristique. En 1829, en France, Honoré Daumier publie ses premières caricatures po­litiques. Elles avaient pour but de dénoncer les mœurs et prises de position politiques de l’époque sous forme d’un humour parfois grinçant et cinglant. Au Cana­da, c’est vers 1870 qu’apparaît la caricature politique comme genre, mais la satire journalistique serait ap­parue dès les débuts du journalisme, peu après la conquête anglaise. La carte postale, après décembre 1897, époque à laquelle la loi permet la privatisation et l’illustration des cartes postales, devient aussi un lieu de diffusion picturale de l’humour; le phénomène pren­dra plus d’ampleur après décembre 1903, moment où on donne alors à la carte postale sa forme définitive.

Éditeur : imprimerie Humblot et Simon, Nancy, c.1903-1904

Le domaine de la carte postale humoristique est trop vaste et ma collection de ce type trop réduite pour que je puisse en faire le tour. Mais j’essaierai d’en présen­ter quelques exemples qui illustreront ce que les im­portateurs ou éditeurs d’ici ont diffusé et ce que les dessinateurs ont créé. Ces cartes entrent dans une catégorie de cartes postales qu’on nomme cartes de fantaisie. L’invention de la phototypie allait permettre une impression plus facile de paysages, villages ou personnages sur les cartes postales. Les imprimeurs de Nancy (France), dont Bergeret et plusieurs autres, ont excellé dans la diffusion de telles cartes postales après 1898. Au Québec, les frères Pinsonneault de Saint-Jean, des photographes et éditeurs de cartes postales aux sujets bien québécois, ont flairé la bonne affaire et ont importé ces cartes postales pour les dis­tribuer dans notre province. Pierre-Fortunat Pinson­neault devint l’agent général pour ici d’Albert Bergeret puis des Imprimeries réunies de Nancy qu’il fondait après avoir diffusé ses propres modèles. L’exem­plaire ci-contre est un modèle des imprimeurs-éditeurs nancéiens Humblot et Simon, vendu au Québec vers 1904. Les imprimeurs de Nancy étaient très renom­més en France à l’époque et ils ont lancé la mode de la carte postale en France dès la fin du XIXe siècle.

Après 1903, la carte postale est entrée dans la période de son âge d’or et ce jusqu’en 1918. Des millions de cartes postales sont mises en vente dans les maga­sins généraux ou les magasins de variétés du Québec. Les cartes de fantaisie, à cause sans doute de sujets et de textures variés, ont la préférence des clients. Au Québec, tout comme en France, le public aime aussi les cartes qui témoignent de leur lieu de résidence ou de leur lieu de vacances. Parmi ce type de cartes, il y a celles qui commémorent une Fête ou un moment spécial de l’année. Le premier avril est déjà un moment propice à l’humour. Ce jeune cuisinier chevauchant un poisson pour attraper celui qui lui servira de repas en est un bel exemple.

La carte postale se sert aussi de sa capacité de diffu­sion, dans les années 1919 à 1930, pour se moquer un peu de la loi de Prohibition américaine qui interdisait la vente d’alcool aux États-Unis. Ici, la blague classique de l’homme trop ivre pour distinguer une boîte d’alarme in­cendie d’une boîte aux lettres !

Au Québec, il n’y a jamais eu de loi de prohibition de l’al­cool, mais le début du XXe siècle voit fleurir les ligues de tempérance et l’Église catholique part en croisade pour démoniser la consommation d’alcool. Il existait même des hôtels de tempérance, c’est-à-dire des lieux où on ne servait pas d’alcool aux voyageurs. Alors, chers voya­geurs de l’époque, faites comme cet homme : « ask your physician to prescribe it for you », peut-être qu’on ne vous interdira pas la consommation alors.

Au début du tourisme de masse entraîné par la popularité grandissante de l’automobile et l’amélioration du ré­seau routier, on utilise ce type de carte d’un seul modèle. On n’avait qu’à changer le nom de la ville ou du village sur le même modèle, ce qui rendait l’édition d’une telle carte très économique pour son créateur. Évidemment, on ne buvait pas plus pas moins à Sainte-Scholastique qu’ailleurs en province !

Les années 1930 voient apparaître chez nous un autre type de carte humoristique, d’inspiration américaine, très populaire auprès des touristes : « Think big! ».

Éditeur: Canadian Post Card Co., Toronto, 1931

Ces cartes seraient nées aux États-Unis vers 1908. L’invention du papier sensibilisé de type photographique a supporté la diffusion de ces modèles. Ici, ce modèle dit d’exagération a été édité dans les années 1930. On pouvait adapter ces montages photographiques aux particularités de la région. Cette carte de Mont-Laurier, région de chasse et de pêche par excellence, suggère qu’on y trouve les plus gros poissons. On peut même les chevaucher si le cœur nous en dit ! En Montérégie, région agricole à l’époque, le sujet sera une récolte fabuleuse.

Éditeur : les Éditions Illustrées Modernes, Montréal, c. années 1940

Déjà dans les années 1940, les rapports hommes-femmes sont de bon ton en humour. Une série de cartes postales publiée par cette compagnie montréalaise en témoigne. La dérision est de mise, empruntant parfois un ton coquin comme sur le modèle présenté ici.

La carte postale, avec le développement des moyens de communication comme le téléphone ou le télégraphe de­vient, à la fin des années 1920, d’abord une affaire de tou­risme. Le « tour de la Gaspésie » devient de plus en plus populaire auprès de la clientèle américaine. Le studio de photographie Bernard, de Carleton, édite des cartes en anglais pour satisfaire cette clientèle particulière. Pour bien faire rire le destinataire de cette carte, la ruralité de l’époque en Gaspésie y est bien illustrée sur cette carte également coquine….

Profitant de la manne touristique, le studio de Charles Bernard pouvait publier jusqu’à 50 000 cartes en une seule année pour satisfaire à la demande. Fin des an­nées ’50, le nationalisme québécois commence à s’ex­primer davantage. On songe à nationaliser l’électrici­té et Jean Lesage fait sa campagne électorale sur le thème « Maîtres chez nous ». L’affirmation nationale s’exprime davantage sur la place publique avec l’arrivée des années 1960, culminant dans la décennie suivante. À Québec, Réal D’Anjou avait après la guerre fondé la compagnie Lacia pour mettre en marché des séries de cartes de souhaits et de cartes postales.

Il s’était associé avec plusieurs illustrateurs de mérite, dont Jean Simard, Sim de son nom d’artiste. Avec lui il a mis en vente une série de cartes postales mettant en vedette des personnages du quotidien venus du Québec d’autre­fois, un monde en train de changer. Ci-dessous, on peut voir le violoneux, un personnage célèbre qui animait les soirées endiablées du samedi soir ou du temps des Fêtes. La série de Sim produite par Lacia traduit le plaisir de vivre d’antan au quotidien. Pas de personnages célèbres, juste de ces personnes que tout un chacun avait connues dans sa vie. Remarquez la finesse du dessin de Jean Simard. Il en est ainsi pour toute cette série de cartes postales. Plus tard, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a aussi fait publier, en s’as­sociant avec l’illustrateur Brillon, une série de cartes postales à saveur natio­naliste. Autant Lacia que la Société Saint-Jean-Baptiste ont bien exploité par la caricature le nationalisme québécois qui prenait forme chez nous.

La série de la Société Saint-Jean-Baptiste, publiée en 1968, était moins nostalgique. On ne mettait plus en valeur la nostalgie du plaisir de vivre dans le Québec d’autrefois, on mettait plutôt de l’avant « La Joie de Vivre » dans ce nouveau Québec de la fin des années 1960.

Éditeur : Studio Bernard, Carleton, sur support de Colorpicture,
Boston, É.U., c. années 1950

Éditeur : Productions Lacia, Québec, circa
années 1960, Jean Simard illustrateur

Éditeur : Studio Bernard, Carleton, sur support de Colorpicture,
Boston, É.U., c. années 1950

Éditeur : Canadien National, Montréal, c. années 1960

En 1958, on inaugure à Montréal la Place Ville-Marie, un symbole architectural fort de cette nouvelle modernité. L’ère des gratte-ciel qui débute changera le visage de Montréal et n ous reflétera cette modernité que nous souhaitions tant. A-t-on déjà ou­blié que Pei, l’un des deux architectes qui ont conçu cet édifice, est le même qui a conçu la si controversée Pyramide du Louvre ? Propriété du Canadien National, les propriétaires avaient établi tout en haut de l’édifice un restaurant d’une certaine élé­gance qui se nommait « Altitude 737 ». Pour en faire la promotion, on avait fait publier cette carte humoristique et quelques autres qui faisaient aussi la promotion du Beaver Hall, un restaurant célèbre de Montréal situé dans l’Hôtel Reine-Élizabeth, aussi propriété du Canadien National.

Ainsi s’achève ce tour en humour de l’histoire de la carte postale. C’est un tour bien sommaire, compte tenu de la place qu’occupe l’humour au quotidien dans nos vies, en Occident, et la carte postale n’a pas été en reste pour nous permettre de mettre à dis­tance et alléger les moments difficiles de la vie de chaque jour.

Cartophilement vôtre !

Jean-Pierre Bourbeau

Administrateur

Histoire et Archives Laurentides

Sources :

[1]    Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey. Éditeur : Dictionnaire Le Robert, Paris. Réédition de 2016.

Université de Montréal, Les origines évolutionnistes du rire et de l’humour par Steven Légaré, Département d’anthropologie Faculté des arts et sciences, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maître ès sciences (M. Sc.) en anthropologie Avril, 2009

Gagnon, Cécile (1996). Réal d’Anjou : un pionnier trop vite oublié. Lurelu, 19 (2), 51–52.