Monsieur le Président,
Amis du Club Richelieu,

L’Histoire d’un pays merveilleux : St-Jérôme de Terrebonne. Tel est le sujet que j’ai bien voulu choisir pour vous entretenir ce soir au cours de ce dîner-causerie. Le titre vous paraîtra peut-être quelque peu prétentieux ou invraisemblable, mais je dois soutenir qu’il est juste et vrai pour plusieurs bonnes raisons; c’est tout d’abord parce qu’il est mon Pays natal et vous connaissez bien ces vers que l’on chante à l’occasion de nos fêtes patriotiques :

Comme le dit un vieil adage
Rien n’est si beau que son pays
Et de le chanter c’est l’usage
Le mien je chante à mes amis.

et aussi pour son développement depuis ses origines, vraiment étonnant et particulièrement merveilleux, et enfin à raison de son site pittoresque et enchanteur.

Ce coin de terre qui nous a vus naître n’a pas besoin d’être un paradis terrestre pour avoir notre préférence, et c’est naturel; il nous est cher à cause de nos belles années de jeunesse, des jours ensoleillés de notre adolescence et pour les joies que nous avons de vivre au milieu de concitoyens qui comme nous, ont les mêmes aspirations, possèdent les mêmes goûts, parlent la même langue, et pratiquent la même religion.

C’est encore parce qu’il est le pays des ancêtres de nos pères et mères qui y ont passé leur vie et qui nous l’ont rendu cher par des souvenirs impérissables qui nous attachent profondément à la terre où maintenant ils reposent.

Merveilleux, en effet, ce pays jérômien, en 1950, lorsque nous comparons ce qu’il est avec ce qu’il était au commencement, vers 1834, et subséquemment. A cette époque déjà lointaine, St-Jérôme n’était qu’une immense forêt visitée de temps à autre par des trappeurs qui y venaient faire alors le commerce de la fourrure.

Ce n’était qu’une simple mission desservie par le Curé de Ste-Anne des Plaines qui venait dire la messe dans une humble chapelle construite sur les bords de la rivière du Nord, à un mille et demie de la ville actuelle, à la fourche des routes St-Canut et St-Janvier. A cet endroit désormais historique, en 1934, lors des fêtes du Centenaire de St-Jérôme, on a placé une plaque en bronze avec l’inscription suivante : A La Chapelle : « Ici se trouvait, de 1821 à 1839, la première chapelle construite sur les bords de la Rivière du Nord. Cette mission, dont est né Saint-Jérôme, fut comme la première étape de la colonisation dans la région. Elle a révélé la beauté de nos Laurentides et du nord de Montréal et a ouvert la porte à la civilisation et au progrès. » – 2 septembre 1934.

La mission de La Chapelle connue sous le vocable de St-Jean-Chrysostome, est devenue, en 1834, la paroisse de St-Jérôme et fut desservie par le Curé de Ste-Anne des Plaines jusqu’à l’année 1837, à l’arrivée du premier curé résidant, M.Étienne Blyth. Le petit village de Lachapelle n’avait que comme constructions trois bâtisses : la mission, le presbytère et le comptoir de M.Casimir-Amable Testard de Montigny établi pour la traite des pelleteries avec les Iroquois du lac des Deux-Montagnes qui venaient faire la chasse.

Mentionnons aussi que M.de Montigny fut le premier député résidant, à la Chambre d’assemblée pour le comté de Terrebonne qui s’appelait alors Comité d’Effingham en l’honneur de Lady Dorchester l’épouse du Gouverneur du temps.

Casimir-Amable de Montigny a été le premier colon de St-Jérôme, le premier Juge de Paix et, comme le dit le Père Lejeune dans son dictionnaire général : « L’âme et l’oracle de St-Jérôme » en plus d’avoir eu l’honneur d’être le fondateur d’une grande et nombreuse famille dont les racines sont profondément attachées au sol jérômien.

Casimir-Amable de Montigny fut le père de deux fils, avocats, Charles-Édouard de Montigny, le premier avocat de St-Jérôme, et Benjamin-Antoine de Montigny, qui fut Magistrat pour Terrebonne et Recorder pour la Cité de Montréal. Marié deux fois, d’abord à Marthe Godon qui lui donna dix enfants puis ensuite à Marie Allaire dont il eut deux filles et un garçon. Une d’elle deviendra l’épouse du notaire André Bouchard-Lavallée, une autre la femme du Dr Luc-Eugène Larocque et une troisième la compagne du notaire Jean-Baptiste de Villemure et de son deuxième mariage, une autre fille appelée Valentine sera, en 1874, l’épouse de M.Édouard Marchand, père de M.Charles-Édouard Marchand, avocat et grand-père de notre ami président-fondateur du Club Richelieu, Mtre J.-C. Marchand.

De Lachapelle, berceau de St-Jérôme, faisons ensemble, en suivant les bords pittoresques de la rivière du Nord, le voyage vers le pays du Curé Labelle, voyage qui, je crois, ne manquera pas d’intéresser au moins les fils du terroir et peut-être aussi les autres pour l’occasion qui leur est donnée d’acquérir des connaissances de cette partie du pays qu’ils ont voulu librement choisir pour leur nouvelle patrie.

Ce ne sera peut-être pas pour quelques-uns un voyage merveilleux comme dans les contes des mille et une nuits, mais intéressant tout de même malgré quelque fatigue que l’on pourra éprouver au cours de la route.

Saint-Jérôme en 1834 ne se composait que d’une rangée de maisons ou de chaumières construites tout le long de la rivière du Nord à des intervalles plus ou moins éloignés. A partir de l’endroit appelé Lachapelle vers le centre de la ville actuelle, il y avait en tout, sur une distance d’environ sept milles, un groupe de sept à huit maisons.

Dès 1834, à l’endroit où se trouve le palais de Justice actuel, avant même la construction de la vieille église, Jean-Baptiste Gri-gnon, grand-père des docteurs Wilfrid et Edmond et de l’avocat Jos. Grignon, ancien protonotaire du district de Terrebonne, exploitait une boulangerie-épicerie qui fut par la suite convertie en auberge, l’hôtel du Peuple.

Durant le cours de l’année 1835 le Seigneur Eustache Nicolas Lambert Dumont fit don à la paroisse naissante de St-Jérôme, d’un terrain de huit arpents en superficie pour y construire l’Église. Ce terrain est celui où se trouve actuellement le parc Labelle.

Dans l’année 1837, on entreprit la construction du temple ainsi que du presbytère en pierre des champs. L’Église au centre et le presbytère au coin sud-ouest du parc Labelle.

Durant ces constructions, qui ont duré jusqu’en 1839, le premier curé, M.Blyth, un prêtre d’origine irlandaise mais d’éducation française, vint demeurer à Lachapelle avec son père et sa mère d’où il allait desservir pour quelques années la mission de Saint-Colomban.

En 1839, l’Église fut ouverte au culte et le curé Blyth prit possession du nouveau presbytère. A l’ombre de ce nouveau clocher une nouvelle paroisse va maintenant prendre naissance, se développer prodigieusement et s’agrandir.

Saint-Jérôme de Terrebonne, magnifiquement située sur les bords de la rivière du Nord qui la divise en deux rives enchanteresses au pied de montagnes ravissantes et impressionnantes dans un cadre enchanteur, va bientôt surpasser toutes les paroisses environnantes pour prendre une place importante dans l’histoire de notre province et devenir bientôt la Reine du nord, la Cité du Curé Labelle.

Autour de ce nouveau temple, un petit village traversé par une ravissante rivière va se transformer et marcher en vitesse vers le progrès.

Les premiers pionniers arrivent : William Gauthier quitte Sainte-Anne des Plaines pour venir s’établir à St-Jérôme, y construire, sur un terrain qu’il défriche lui-même, un foyer et une maison d’affaires au coin des rues Labelle et du Palais. En quelques années il devient un des plus importants marchands de St-Jérôme, échevin, marguillier et commissaire d’écoles de son village; il fonde une famille de douze enfants dont six garçons et six filles dont une religieuse et un prêtre.

L’une d’elles deviendra la femme du Dr Félix-Philéas Vanier et l’autre de l’avocat Wilfrid-Bruno Nantel, et pour moi la plus tendre et la plus aimée des mères.

Et puis par la suite, sans interruption, d’autres, également attirés par les attraits d’une colonie nouvelle, viennent fonder un foyer ou établir leur famille dont les descendants feront l’honneur et la gloire de St-Jérôme. Au nombre de ces citoyens qui se sont employés à fonder et à développer avec zèle et courage ce coin du pays, je citerai le nom des principaux dans l’ordre de leur arrivée : Les de Montigny, les Gauthier, les Grignon, les Nantel, les Scott, les Langwell, les Lavallée, les Labelle, les Brière, les Laporte, les Ouimet, les Labrie, Les Prévost, les Dumouchel, les Desjardins, les Larocque, les Fournier, les de Villemure, les Laviolette, les Wilson, les Lorrain, les Matte, les de Martigny, les Lachaîne, les Beaulieu, les Richard, les Godmer, les Gibeault, les Laflamme, les Fournelle, les Théberge, les Vanier, les Rolland, les Simard et les Parent. C’est à ces courageux citoyens qui étaient nos pères que nous devons le magnifique héritage que nous avons acquis au prix de durs labeurs et généreux sacrifices.

Nous verrons plus loin avec quel soin et dévouement ils nous ont préparé ce riche patrimoine dont nous avons raison d’être orgueilleux.

La paroisse

Voyons tout d’abord ce qu’a été pour notre village, la paroisse : dès les débuts de la Colonie française en Amérique, la paroisse a été pour nous Canadiens français le groupement naturel et la véritable cellule sociale dont la multiplication a fait notre peuple.

Il est donc à propos de rappeler à notre génération le nom des curés qui se sont succédé ici depuis 1834 à 1900. Plusieurs d’entre vous du moins les moins jeunes de notre époque se rappelleront quelques-uns d’entre eux.

Le Curé chez nous est désormais considéré comme un Père, le Père spirituel de la famille paroissiale; il est donc convenable de mentionner les noms de ces dévoués pasteurs dont le zèle et l’esprit de foi ont si largement contribué au progrès de St-Jérôme. Je les nomme donc dans l’ordre chronologique comme curé de la paroisse de St-Jérôme :

1. Étienne Blyth, 1837 – 40
2. Isidore Poirier, 1840 – 41
3. Patrick Burke, 1841 – 45
4. G.-Amable Thibault, 1845 – 55
5. Michel-Davis Brunet, 1855 – 58
6. Jos.-Isidore Gratton, 1858 – 63
7. Antoine Fleury Groulx, 1863 – 68
8. Antoine Labelle, 1868 – 91
9. L. J. T. Lafortune, 1891 – 1900

Éducation et enseignement

Sous la direction et le concours de ces ardents et courageux curés colonisateurs et patriotes, des écoles, des couvents et des collèges en grand nombre ont été établis dans St-Jérôme pour éduquer et instruire notre jeunesse.

Dès les débuts de cette paroisse en même temps que la construction de la vieille église et du vieux presbytère, une spacieuse école en pierre fut érigée sur le coin nord-ouest du parc Labelle pour les jeunes garçons et filles et dix ans plus tard on comptait dans la paroisse six écoles dirigées par des professeurs et maîtresses laïques.

En 1855 une grande et belle école pour garçons seulement fut construite sur la côte de l’avenue Parent, côté sud, près de la voie ferrée du Canadien Pacifique. Cette bâtisse par la suite a servi aux réunions du conseil municipal et comme résidence jusqu’en 1934 date de sa démolition. Les plus anciens se rappellent encore des noms des professeurs laïques de ces temps anciens : Père Saint-Michel et Père Green. Médard Grignon qui devint aubergiste et William Scott, marchand et maître de poste à Saint-Jérôme et bien d’autres, étaient du nombre des élèves qui ont fréquenté cette école de grande réputation.

Grâce aux nombreuses démarches du curé Gratton auprès des autorités compétentes faites durant sa cure, le Curé Groulx en 1864 avait le bonheur d’amener à St-Jérôme les Sœurs de Sainte-Anne dans une bâtisse déjà construite, mais agrandie et rénovée, située dans le parc Labelle.

Le 22 septembre de la même année eut lieu au couvent la bénédiction solennelle de la cloche de la chapelle par Mgr Bourget, le parrain de cette fête fut l’ancien Curé Gratton qui s’était fort intéressé à la réalisation de cette œuvre et Madame la Seigneuresse Laviolette, fille du Seigneur Dumont, le donateur du terrain.

Le 12 mai 1868, le Curé Groulx s’éteignait soudainement, causant dans la paroisse qui progressait si rapidement, un réel chagrin, mais la Providence allait amener à la direction de St-Jérôme, un homme quasi extraordinaire, un prêtre dévoué, actif, clairvoyant et d’une intelligence remarquable; j’ai mentionné le Curé Labelle, l’apôtre de la colonisation.

Pour un quart de siècle, de 1868 à 1891, ce prêtre colonisateur né à Ste-Rose d’une humble famille, sera la grande figure non seulement de St-Jérôme mais aussi de la Province de Québec. On le connaîtra comme le grand colonisateur par excellence qui obtiendra, grâce à son éloquence et sa persuasion, des gouvernements de son pays des routes, un chemin de fer et des octrois pour coloniser la région du nord de Montréal et la faire connaître comme la Suisse canadienne.

Extraordinaire en effet cet homme très grand et très fort, mesurant six pieds de taille et portant plus de trois cents livres de poids, bien fait et harmonieusement proportionné aux traits réguliers et fins, avec cheveux frisottants et grisonnants. C’était un colosse en soutane, un bon géant qui a su en tout temps mettre sa force et son énergie au bénéfice de ses concitoyens.

D’une intelligence d’élite et d’une culture remarquable avec excellent cœur, d’une nature courageuse, le Curé Labelle en ouvrant cette région à la colonisation, a laissé à ses paroissiens et à ses concitoyens une œuvre indestructible. Dès son arrivée dans la cure de St-Jérôme le Curé dont les activités étaient sans borne, s’intéresse à l’éducation et l’enseignement. Son projet d’avoir à Saint-Jérôme des religieux pour remplacer les professeurs laïques se réalise en 1873. Des Pères de la Congrégation de Sainte-Croix font leur arrivée. A l’automne 1874 un nouveau collège ouvre ses portes sous la direction du Père Larochelle.

Pendant dix-sept ans les Clercs de Ste-Croix ont ainsi enseigné à St-Jérôme jusqu’au 17 janvier 1891, date où un incendie a détruit complètement l’Académie Commerciale construite sur le terrain qui appartient actuellement à M.Émilien Vanier.

En 1888, le même Curé réussit à amener dans la paroisse les Sœurs Grises pour y ouvrir un hospice ou hôpital pour les vieux et les infirmes ainsi qu’un jardin de l’enfance. Cet institut qui a rendu d’inappréciables services à St-Jérôme et ailleurs fut rasé par un désastreux incendie en 1911; puis un 1890 sous le gouvernement Mercier alors que le Curé Labelle était sous-ministre de la colonisation, des écoles du soir furent inaugurées dans Saint-Jérôme.

Voilà la part du Curé Labelle dans le domaine de l’enseignement. Le 4 janvier 1891 avec stupeur et étonnement, la nouvelle de la mort du Curé Labelle comme une traînée de poudre se répandit par toute la Province et à l’étranger. Après les funérailles grandioses, les restes mortels de Mgr Labelle, selon son désir, ont été déposés sous l’autel de la chapelle du cimetière actuel au milieu de ses chers paroissiens qu’il a tant aimés.

En février 1891, le Curé Louis-Joseph Lafortune le remplace à la cure et durant dix ans ce pasteur remarquable et distingué se dépense au service de ses paroissiens. Nous lui devons la construction du nouveau collège des Frères des Écoles Chrétiennes lequel fut construit en 1896; le nouveau presbytère, coin des rues Parent et St-Georges en 1896, la nouvelle église construite au cours des années 1897 à 1899 et ouverte au culte en 1900. Voilà l’œuvre complète de nos dévoués pasteurs et fondateurs de cette paroisse dans le domaine de l’éducation.

Activités civiles et sociales

Avec le nombre important de ces familles que nous avons mentionnées au cours de cette causerie, des constructions diverses, des bâtisses de tout genre surgissaient ici et là autour de l’Église pour y former un petit village d’abord et devenir vers 1900 la plus grande paroisse de la région du nord de Montréal.

Au début de sa fondation, une seule rue traversait le village et s’appelait la rue Dumont puis Principale pour devenir plus tard la rue Labelle.

Des premières bâtisses de St-Jérôme un petit nombre existe de nos jours, le temps a fait son œuvre, des incendies en ont détruit plusieurs et les autres ont été démolies pour faire place au progrès.

De ces anciennes maisons qui existent aujourd’hui mentionnons : la maison Robert Langwell coin des rues Labelle et St-Joseph résidence actuelle du Docteur Pagé 1888; maison Ouimet haut de la ville 1840; maison Clément Gauthier près du pont Vanier 1849; maison J. B. de Villemure coin des rues St-Georges et Parent 1851; le moulin à carde près de l’hôtel Lapointe 1860; édifice Nantel construit par William Gauthier 1872; Hôtel de ville 1874; maison Honorable Wilfrid Prévost 1891; la maison Lorrain actuelle; gare du Canadien Pacifique 1897.

Jusqu’à l’établissement du système municipal en 1845, le Curé avec l’aide de ses paroissiens administrait la Paroisse au civil comme au spirituel. La paroisse de St-Jérôme est devenue municipalité de village en 1856 et sa première séance eut lieu dans l’école sur la côte de l’avenue Parent. Les membres du premier conseil étaient MM.Godfroy Laviolette maire, André Lavallée, Louis Georges Loranger, Édeste Côté, William Scott, Guillaume Nantel et Joseph Godon. En 1881 la municipalité du village est devenue municipalité de la Ville de Saint-Jérôme.

Les Maires de St-Jérôme de 1856 à 1900 qui ont eu la direction de nos affaires municipales sont les suivants :

1er Godfroy Laviolette, 1856 – 74
2e J.-Bte de Villemure, 1874 – 79
3e Godfroy Laviolette, 1879 – 81
4e J.-Bte de Villemure, 1881 – 85
5e Melchior Prévost, 1885 – 87
6e Godfroy Laviolette, 1887 – 89
7e Hermyle Leclair, 1889 – 91
8e Charles Godmer, 1891 – 92
9e S.-J.-Bte Rolland, 1892 – 1901
10e Charles Godmer, 1901 – 1903

Le Village ayant été érigé en municipalité scolaire en 1869 et la première commission régissant les écoles fut élue par le peuple au cours du mois de juillet de la même année. Les cinq commissaires suivants furent choisis : Godfroy Laviolette, le notaire Hervieux, William Scott, Joseph Desforges et Jérôme Longpré.

Célébration de la St-Jean-Baptiste et fondation de l’institut

Dès 1855 une association de la Saint-Jean-Baptiste existait à St-Jérôme. La célébration de cette fête nationale des Canadiens français était en honneur chez les Jérômiens de cette époque. Tous les ans une grande célébration religieuse et civile avait lieu et se terminait le soir par un feu d’artifice. Cette fête pendant plusieurs années a été célébrée dans le domaine de Bellefeuille, aujourd’hui le domaine Parent, à l’endroit après la Grosse Érable.

Comme attraction il y avait de la musique jouée par la bande du Dr Jules-Édouard Prévost, un dîner champêtre et, dans l’après-midi, des discours patriotiques par les notables de la place; elle a été particulièrement célébrée avec éclat dans le cours des années 1859 – 1863 et 1899. La procession des chars allégoriques en 1899 n’a pas été oubliée par plusieurs Jérômiens qui frisent maintenant la soixantaine. Les anciens savaient bien faire les choses et nous leur devons un exemple que nous devrions suivre avec profit.

Avec des conditions de fortune restreinte et limitée les anciens savaient se distraire et n’hésitaient pas à s’imposer des obligations sociales pour s’orienter vers plus de culture littéraire et scientifique, et pour cette raison en 1856, un groupe de citoyens de cette époque ont jeté les bases d’une institution littéraire, politique et scientifique.

L’Institut des artisans de Dumontville fut fondé et eut ses heures de gloire de 1856 à 1863. Cette association comptait environ trente membres, possédait sa bibliothèque, recevait ses journaux, avait ses séances régulières dans le local d’une bâtisse qu’elle fit construire sur l’emplacement où se trouve actuellement l’hôtel de ville. Par la suite l’Institut a cessé ses activités, la propriété a été acquise par le conseil de ville pour servir de palais de Justice et de salle municipale

Le bureau de poste

Sur le terrain du bureau de poste actuel vis-à-vis de la vieille Église, Louis-Théodore St-Michel, instituteur à l’école du village dès son arrivée à St-Jérôme, en 1858, ouvrit un petit restaurant où se faisait un débit important de bière d’épinette, de biscuits à la mélasse et d’alléchantes pralines de tire; c’était la cabane du Père St-Michel. Pour attirer la clientèle, cet original restaurateur avait placé en évidence sur la devanture du restaurant fashionable de cette époque la devise : « Aujourd’hui pour de l’argent, demain pour rien », et pour la jeune clientèle qui y venait pour laquelle c’était toujours « aujourd’hui », elle devait payer et ainsi le commerce était des plus florissants. De plus, le Père St-Michel, instituteur et d’une grande érudition, prêtait ses services moyennant rémunération aux jeunes du temps qui désiraient faire rédiger des lettres d’amour qu’ils destinaient à leur petite amie. Le Père St-Michel en avait toute une série qu’il puisait abondamment dans un recueil tout à fait spécial.

Et par la suite au même endroit le bureau de Poste a remplacé le restaurant du Père St-Michel. Pendant plusieurs générations, le bureau de Poste a été pour la jeunesse un lieu de ralliement populaire, pour les amoureux un rendez-vous fort commode, et pour les autres la promenade quotidienne.

Les maîtres de Poste qui se sont succédés depuis l’inauguration du système postal dans notre localité depuis 1845 sont les suivants :

1er Gilbert Lauzon, 1845 – 53
2e André Bouchard Lavallée, notaire, 1853 – 56
3e Louis Loranger, 1856 – 61
4e J. Bte de Villemure, 1861 – 72
5e Ed. Marchand (27 ans), 1872
6e Daniel Longpré, médecin, 1901
7e J.E. Prévost, 1902
8e Charles Godmer, 1903
9e Joseph Boisseau, 1906
10e William Scott, 1906
11e Antoine Beaudry, 1916
12e J.-H. Desjardins, 1933

Banquet – La Corvée et le Chemin de fer du nord

Le Curé Labelle dont le rêve le plus cher était la colonisation du Nord voulait intéresser à son entreprise toute la Province et spécialement la Ville de Montréal. A sa suggestion le Conseil Municipal du village décide en 1871 d’offrir un banquet aux autorités civiles de la Métropole et aux directeurs de la Compagnie de chemin de fer du Nord. Ce banquet eut lieu le 31 janvier 1871 à l’hôtel de Médard Grignon et l’impression produite fut des plus favorables à la réalisation du projet du chemin de fer du Nord.

L’hiver de 1871 – 1872 qui fut très rigoureux amena une disette de bois à Montréal et une délégation du Conseil Municipal fut envoyée à St-Jérôme afin d’obtenir du combustible pour les miséreux de la Cité. Les autorités civiles de St-Jérôme avec le concours du Curé Labelle décident de faire transporter du bois aux pauvres de Montréal. La Corvée est donc organisée et le 18 janvier 1872, 34 voitures chargées à pleine capacité, partent de St-Jérôme de grand matin pour Montréal traînées par des chevaux harnachés tout spécialement pour la circonstance avec un immense drapeau sur le devant de la première voiture.

Les citadins de Montréal à l’arrivée de cette étrange procession furent émerveillés des colons du Curé Labelle qui n’avaient pas craint de braver le froid pour accomplir un acte de générosité envers les nécessiteux de Montréal. La distribution du bois faite, un grand banquet fut offert aux visiteurs par les autorités de la Ville à l’hôtel Jacques Cartier, l’hôtel le plus luxueux du temps.

La construction du chemin de fer du Nord fut alors décidée. Un dimanche, le 16 septembre 1876, eut lieu l’inauguration du chemin de fer – les premiers gros chars arrivaient à St-Jérôme. En cette occasion, Mgr Fabre, à la demande du Curé Labelle, a béni solennellement le nouveau tracé ferroviaire; l’allégresse était générale.

Le mois suivant St-Jérôme fêtait pompeusement cet événement par un grand banquet donné à plus de deux cents convives par les autorités civiles, dans le moulin neuf de Godfroy Laviolette; parmi les convives se trouvaient l’honorable de Boucherville, premier ministre de la province, l’honorable Chapleau, secrétaire de la province et député du comté, le Dr Hingston, le maire de Montréal et plusieurs autres célébrités du pays.

Le journalisme

Les journaux à St-Jérôme ont toujours été en vogue et ont considérablement aidé à la colonisation de notre région et au progrès de notre ville.

Le premier journal en circulation était : « Le Nord » fondé par le notaire Hervieux patronisant le parti conservateur; en 1881, Alphonse Nantel, avocat, en devint propriétaire et en 1897 Édouard Marchand; puis « La Campagne » d’abord quotidienne puis ensuite semi-quotidienne, en opération du 1er septembre 1886 au 27 avril 1887, la propriété de l’honorable Alphonse Nantel; « L’Avenir du Nord » fondé par Wilfrid Gascon en 1897, journal libéral qui devint la même année la propriété de M.Jules-Édouard Prévost; « L’Égalité », journal libéral et littéraire établi par Wilfrid Gascon lequel a vécu du 26 juillet 1897 au 20 octobre 1898; enfin « La Nation » en 1909, la propriété de l’honorable Alphonse Nantel. Voilà la liste de nos journaux jérômiens.

Les industries

Depuis sa fondation, St-Jérôme n’a rien négligé pour attirer dans nos murs des industries nouvelles; ses pouvoirs d’eau nombreux, ses moyens de communication, sa main-d’œuvre intelligente et laborieuse a toujours offert de grands avantages aux industriels. La ville en est largement pourvue et le nombre en serait considérable si plusieurs d’entre elles n’avaient pas cessé leurs opérations.

Dès les commencements nous avons eu les scieries Langwell, Laviolette, Villeneuve puis le moulin à papier Rolland en 1881, le moulin de pulpe Delisle qui est devenu plus tard la propriété de J. C. Wilson; et les manufactures de gants de Stanislas Desormeaux, de meubles de M.Smith, et Polycarpe Vézina 1888, de M.Schwab, montres, 1889, de Herr, pianos, 1890. La Compagnie Industrielle de St-Jérôme, meubles 1892; la compagnie d’Oscar Craig, pianos; l’usine de Pierre Dansereau, voitures à chevaux; la compagnie Smith & Fischel, cigares, 1895; la compagnie Camiré, fonderie, 1895; la compagnie Villeneuve et Pépin, moulin à scies, 1896, et enfin la Boston Rubber Cie., caoutchouc, 1896, qui devint en 1905 la Commercial Rubber. Cette liste vous démontre amplement que l’élan vers l’industrie à St-Jérôme s’accélérait de plus en plus à venir jusqu’à l’année 1900.

Voilà, Messieurs, que l’histoire de St-Jérôme de 1834 à 1900 vient de vous être racontée. Tout ne peut être dit dans un temps aussi restreint que celui qu’on a bien voulu mettre à ma disposition. Je m’arrête donc, quitte à revenir si cette causerie a su vous plaire pour vous parler plus tard de la période contemporaine qui m’est plus familière.

Une ville qui a l’honneur de compter parmi ses citoyens des membres aussi vertueux, éminents et distingués que Mgr Labelle, Mgr De La Durantaye, Mgr Nantel, Mgr Ouimet, Mgr Dubois et le Père Eugène Prévost; des hommes d’État remarquables comme l’Honorable Guillaume-Alphonse Nantel, l’Hon. Jean Prévost, l’Hon. Wilfrid Bruno Nantel, et l’Hon. Édouard Rinfret; des juges renommés comme Benjamin-Antoine de Montigny et l’Hon. Thibodeau Rinfret; des journalistes de marque comme le notaire Hervieux, l’Hon. Alphonse Nantel, l’Hon. Arthur Sauvé et l’Hon. Jules-Édouard Prévost; les écrivains de choix comme Mgr Nantel, Mgr Dubois, les docteurs Edmond et Wilfrid Grignon, Jos. Grignon, avocat; une ville enfin qui offre à ses concitoyens des richesses naturelles et des attraits de tout genre, des commodités et des avantages innombrables est vraiment merveilleuse. Une telle ville possède bien son histoire, une grande histoire, une histoire merveilleuse, qui est celle de Saint-Jérôme de Terrebonne.

Saint-Jérôme, le 14 février 1950 L. Nantel