La commémoration est une célébration destinée à se rappeler le souvenir d’une personne ou d’un événement en particulier. Mais avec le temps et l’usage, le terme commémoratif s’est appliqué à des monuments, à des plaques apposées sur des maisons de pionniers, à des photos, bref à plusieurs autres choses que des célébrations comme à l’origine. Ces façons de commémorer, et plusieurs autres, témoignent du besoin de se souvenir collectivement, et pas seulement par des images enfouies dans notre mémoire. La commémoration, dans cette perspective, est aussi un geste identitaire.
Éditeur : American Lithographic Co N.Y. Litho, New York, 1893
Dans cette chronique-ci, nous verrons comment les cartes postales sont devenues des moyens de se souvenir. Bien sûr, les photos de bâtiments sont des façons de se rappeler ces constructions parfois importantes dans la vie d’une ville ou d’un village. Mais ce ne sont pas des cartes postales commémoratives. Selon moi, la carte postale commémorative doit aussi être l’expression de la volonté d’un groupe humain pour se souvenir, par ce moyen, d’un personnage ou d’un événement important de l’histoire de ce groupe. Nous verrons plusieurs exemples de cartes postales commémoratives. Le premier exemple connu est la série de cartes postales privées, émises en 1893 pour la tenue de l’Exposition universelle de Chicago, plus connue sous le nom de la World’s Columbian Exposition ou Columbian World’s Fair. On voulait ainsi célébrer l’arrivée de Christophe-Colomb dans notre Nouveau Monde. L’exposition fut conçue par l’architecte Daniel Burnham et le paysagiste Frederick Law Olmsted, ce dernier ayant aussi conçu Central Park à New-York et le parc du Mont-Royal à Montréal. Cette Exposition a été l’occasion d’un renouveau pour Chicago, très affectée par l’incendie dévastateur de 1871.
Ces expositions universelles étaient aussi l’occasion d’étaler devant le public les dernières merveilles de la technologie. Ainsi, l’exposition de 1889 à Paris verra naître la Tour Eiffel, alors que celle de Chicago verra s’ériger la première grande roue de l’histoire. La plupart des expositions universelles ont été des sujets de cartes commémoratives. Notre Expo 1967 n’a pas fait exception et ses cartes postales furent très appréciées. Notons, sur le plan de la cartophilie, qu’une seule compagnie d’impression et de distribution a eu le contrat d’édition exclusif des cartes postales émises pour l’occasion. Il s’agit de la compagnie Les Messageries de Presse Benjamin, fondée à Montréal en 1917 par Charles Benjamin. Elle a fermé ses portes en 2014.
Autre sujet très populaire dans la première moitié du XXe siècle: les Congrès eucharistiques. Un Congrès eucharistique, dans l’Église catholique, est un rassemblement de clercs et de laïcs en vue de célébrer et adorer la Sainte Eucharistie. La présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie est un des dogmes principaux de la foi catholique. Il y a des congrès régionaux, nationaux et internationaux. Le Congrès eucharistique de Montréal, tenu du 6 au 11 septembre de 1910, a été le premier congrès international à se tenir en terre d’Amérique, et ce à l’initiative de Paul Bruchési, alors archevêque de Montréal. Ces congrès eucharistiques étaient l’occasion de manifestations de foi grandioses. Celles du Congrès de Montréal ont culminé, le 11 septembre 1910, lors d’une gigantesque procession de 100 000 personnes jusqu’au reposoir où se célébrait l’ultime messe du Congrès. La foule circulait dans les rues de Montréal en passant sous des arches construites pour l’occasion. De nombreuses cartes postales ont été émises lors du Congrès, représentant parfois des mouvements de foules ou des rassemblements de dignitaires, ou encore des installations techniques comme le grand reposoir ou l’arche qu’on aperçoit sur la carte postale ci-contre.
À Québec, en 1908, se sont tenues des fêtes civiles remarquables pour commémorer le tricentenaire de la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain. Plusieurs célébrations fastueuses et imposantes ont eu lieu entre le 19 et le 31 juillet, donnant aussi lieu à l’édition de plusieurs cartes postales illustrant les divers aspects de ces manifestations. Sur un document de la Ville de Québec, on mentionne que l’ampleur de ces célébrations n’avait pas été égalée avant celles tenues pour le Centenaire de la Confédération canadienne en 1967. Pour en donner une idée, mentionnons qu’une escadre de navires de guerre venus du Royaume-Uni, des États-Unis et de la France s’était déployée sur le fleuve devant Québec. Vingt-cinq mille soldats et marins canadiens, britanniques, américains et français, avaient défilé dans les rues de Québec pavoisées pour la circonstance.
Sur les Plaines d’Abraham, un spectacle historique réunissant 4 500 figurants en costumes d’époque avait, au travers de plusieurs tableaux vivants, commémoré l’histoire de la Nouvelle-France, de la guerre de Sept ans ou de l’invasion américaine du Canada.
Sur la carte postale ci-contre, on voit bien le monument à Samuel de Champlain, oeuvre du sculpteur Paul Chevré, érigé en 1898. Il est installé sur la terrasse Dufferin, devant le fleuve Saint-Laurent.
Pour ce qui est de la commémoration, Paris ne fut pas en reste. En 1951, le Comité du Bi-Millénaire de Paris demande au célèbre affichiste Raymond Savignac de créer une affiche pour les 2000 ans de Paris. À partir de cette affiche fut éditée la jolie carte postale ci-bas. On en prenait un peu large avec l’histoire cependant. La tribu gauloise des Parisii aurait établi la bourgade de Paris sur l’île de la Cité vers 253 avant notre ère. Mais l’année 1951 voit aussi la signature à Paris d’un traité instituant la communauté européenne du charbon et de l’acier, précurseur du traité de Rome de 1957 qui allait instituer la communauté économique européenne de 1957, l’ancêtre de l’Union européenne actuelle. Quant à Savignac, c’est en 1949, à 41 ans, qu’il devint célèbre en réalisant l’affiche des savons Monsavon au lait.
Comme on peut le constater, le style de Raymond Savignac se caractérisait par une simplicité efficace et une teinte d’humour. Je ne peux m’empêcher de souligner que Savignac a pris soin de nous montrer dans son affiche que les 2000 ans de Paris ont été construits par des femmes et des hommes.
Enfin, même si ce n’était pas une vraie carte postale commémorative à l’époque, les personnages célèbres de ces cartes postales étant encore vivants, je vous présente une dernière carte, illustrée avec le portrait de René Lévesque.
L’auteur, Abdelhamid Hanafi, a créé en 1978, en plus de celle-ci, trois autres cartes semblables avec les portraits de Guy Lafleur, Pierre-Elliott Trudeau et Maurice Richard. Ce peintre originaire de Tunisie était arrivé au Canada en 1977. Il semble avoir rapidement saisi qui étaient les idoles politiques et sportives des Québécois. À partir de ses peintures représentant ces célèbres personnages, il a fait éditer quatre cartes postales avec le visage de chacun sur quatre billets de banque de dénominations différentes. René Lévesque sur un billet de vingt dollars, faisait peut-être écho à la célèbre « piasse à Lévesque » d’un discours préréférendaire de Jean Chrétien. À l’endos, on peut y lire : de Québec avec amour. Le peintre aurait eu un franc succès avec cette carte postale, selon un article du journal Montréal-Matin de cette époque. Il en aurait vendu 100 000 en trois mois.
Je ne saurais terminer cet article sans vous dire que Saint-Jérôme a aussi émis une carte postale pour qu’on se souvienne des Jeux du Québec qui ont eu lieu à l’hiver 1987. En 1985, après plusieurs essais, la Ville de Saint-Jérôme a enfin obtenu de présenter la finale des 22e Jeux d’hiver du Québec. Pour l’événement, on a rénové l’aréna Melançon ainsi que les équipements sportifs de la Polyvalente de Saint-Jérôme. Le 6 mars 1987, la flamme des Jeux faisait son entrée dans l’aréna, portée par 10 coureurs et coureuses venus de Charlesbourg, où s’étaient tenus les Jeux précédents. Le journaliste Réjean Tremblay atteste du franc succès de ces Jeux. L’historien Serge Laurin relate que la population de la région avait largement contribué à ce grand succès. Selon lui, il y avait presque plus de bénévoles que d’athlètes !
La carte postale ci-contre commémore ces Jeux, avec sa mascotte Sajou au premier plan. Sajou, dont je n’ai pas trouvé le nom du concepteur, était une grosse peluche personnifiant un gentil porc-épic. Outre de faire le tour des lieux de compétitions, Sajou visitait aussi des entreprises de la région pour mousser la participation aux Jeux de 1987.
Voilà! J’espère que cet article vous a plu. Je voulais qu’il vous présente une autre facette de cette fascinante histoire de la carte postale.
Cartophilement vôtre,
Jean-Pierre Bourbeau,
Membre d’Histoire et Archives Laurentides