J’ai passé mon enfance dans une petite ville à une heure de Montréal. Pas d’auto dans ma famille. Alors toute sortie hors de mon quartier et de mon centre-ville était la bienvenue. Une fois par année, durant les vacances scolaires, j’avais le privilège qu’un oncle et une tante nous amènent, ma soeur et moi, dans la GRANDE VILLE de Montréal. En 1960, je n’avais pas dix ans. Pour la première fois, nous découvrions le Jardin des Merveilles du parc Lafontaine. Officiellement, c’était un jardin zoologique pour enfants, qui avait vu le jour en 1957.
UN PEU D’HISTOIRE
À l’origine, le terrain sur lequel se trouve le parc Lafontaine faisait partie de la ferme de James Logan qui, en 1845, céda sa terre au gouvernement fédéral afin que ce dernier puisse y tenir des exercices militaires. En 1874, la Ville de Montréal décide d’aménager de grands parcs dans la ville : celui de l’Île Sainte-Hélène, le parc du Mont-Royal et le parc Logan sur les terrains gouvernementaux. C’est en 1901 que ce dernier endroit sera rebaptisé « parc Lafontaine », en l’honneur de l’ex-premier ministre Louis-Hippolyte La Fontaine. En 1904, la Ville de Montréal en devient propriétaire. Au cours des années qui suivront, plusieurs aménagements y seront entrepris : étangs, cascade, ponceau, fontaine lumineuse. Au fil du temps, s’y ajouteront des bâtiments : des serres qui serviront à la production des fleurs et de plantes qui enjoliveront la ville, un chalet-restaurant et surtout le célèbre Théâtre de Verdure, où se produiront en début de carrière plusieurs artistes québécois célèbres.
Depuis 1905, il y eut presque toujours des animaux exposés au parc Lafontaine dans un genre de petit zoo. Les installations ont fait les frais de vives critiques dans les années 1940, à cause de leur vétusté. En 1955, le petit zoo ferme ses portes et les animaux envoyés au zoo de Granby. À la même époque, Claude Robillard était directeur du nouveau Service des parcs de la Ville de Montréal. Outre d’être ingénieur, il appréciait particulièrement les arts et la littérature. Impressionné par un voyage à Disneyland, il conçut avec Roland Proulx, dessinateur pour la Ville, le projet d’un jardin zoologique pour les enfants où les animaux seraient présentés dans un décor de contes de fées, de fables ou de chansons populaires. Le « Jardin des Merveilles » venait de naître, à l’angle des rues Calixa-Lavallée et Du Parc Lafontaine (Rachel est). Il s’étendra sur trois km carrés et abritera 250 petits animaux répartis en 40 modules. Avec fierté, le maire Jean Drapeau l’inaugurera le 15 août 1957, sur le site de l’Arche de Noé.
Le lendemain, le journal La Presse rapporte l’événement : « L’ouverture de ce premier jardin zoologique pour enfants constitue un grand événement dans l’histoire du Service municipal des parcs et aussi dans l’histoire de la métropole canadienne. Car en plus d’un site idéal de récréation, ce sera aussi pour les jeunes et les moins jeunes un magnifique centre d’éducation ». Le prix d’entrée était de 15 cents par personne. Il était important pour le maire « … que personne, quelle que soit sa condition financière, ne sera empêché de visiter ce zoo ».
À 14 h, en cette journée du 15 août, les tourniquets de l’entrée s’ouvrirent et plus de 3 000 personnes les ont franchis : le Jardindes Merveilles était très attendu de la population !
ANIMAUX ET CONTES DE FÉES
Parmi les contes et légendes représentés, selon la courte littérature consultée, la baleine bleue de Jonas était la figure emblématique du Jardin. On pouvait y entrer, ce qui était déjà impressionnant pour les enfants, et y observer des poissons multicolores dans un immense aquarium.
Plus loin il y avait la Maison en pain d’épices de la sorcière où s’étaient aventurés Hansel et Gretel, les deux jeunes héros du conte des frères Grimm (1812). Comme on le voit sur la carte postale, la petite maison ne se visitait pas, mais elle est entourée d’un enclos où circulaient de petits animaux.
Les personnages des contes de Charles Perreault étaient aussi très populaires à l’époque, malgré qu’ils fussent écrits en 1697. Au Québec, les plus lus par les jeunes baby-boomers étaient La Belle au bois dormant, Le Petit chaperon rouge, Barbe bleue, Le Chat botté, Le Petit Poucet et Cendrillon.
Cendrillon est l’histoire d’une pauvre orpheline, mal-aimée de ses soeurs. Sa fée-marraine lui a cependant donné le cadeau de pouvoir faire trois voeux. L’un de ses voeux fut de trouver un prince charmant. Elle alla dans un bal, mais devait en sortir avant minuit, sous peine que son carrosse se change en citrouille. C’est cette charmante histoire que les concepteurs du Jardin choisirent d’illustrer, en évoquant « l’après-bal » : Cendrillon a quitté le bal après minuit et son carrosse a été transformé en citrouille, mené par quatre souris grises. Sur cette carte postale, deux petites filles avec leur robe à crinoline jaune semblent bien absorbées par la scène.
Des fables de La Fontaine, telles que Le lièvre et la tortue, étaient aussi représentées. Des chansonnettes et des comptines également. Ainsi, Humpty Dumpty, personnage d’une chansonnette anglaise de 1797 et repris par Lewis Caroll en 1874 dans un de ses romans. Au 20e siècle, sa popularité grandit lorsqu’Humpty Dumpty devint une célèbre marque de croustilles. Comme on le voit sur la carte postale, le personnage attire beaucoup les enfants : on voudrait bien le faire descendre de son mur !
Outre les petits animaux, le Jardin comptait aussi un éléphanteau, Babar. Au module Tintin et le Temple du soleil, deux lamas excitaient la curiosité des enfants. Mais aucune journée n’était complète si on n’allait pas voir le spectacle des otaries. Dans un bassin avec gradins, celles-ci donnaient tout un spectacle : ballon sur le nez, attrapage de cerceaux, applaudissements et, bien sûr, l’eau que les bêtes projetaient sur les spectateurs.
MÊME EN HIVER !
Le petit lunch au restaurant du Jardin était aussi un moment incontournable de la journée. En 1964, on ajouta un théâtre de marionnettes où Micheline Legendre adapta deux œuvres d’Hergé : Tintin et le Temple du soleil et Tintin au Tibet. Autre nouveauté en 1964 : toujours sous l’inspiration de Roland Proulx, le Jardin s’ouvre au public l’hiver. Il se pare de 13 000 ampoules multicolores et d’une crèche avec des animaux vivants. Un château de glace est aussi érigé autour du bassin des otaries. Le succès est instantané et immense. La plupart des animaux de l’été avaient regagné leurs quartiers d’hiver au Parc Angrignon, dans l’ouest de Montréal, mais jusqu’à la fin, le Jardin des Merveilles sera aussi vivant durant l’hiver qu’à l’été.
À partir des années 1980, le Jardin des Merveilles perdit de son éclat et de sa popularité. Il a fermé ses portes à l’automne de 1988. Mais quels beaux souvenirs il a laissés aux enfants d’hier que nous étions ! !
Cartophilement vôtre !
Jean-Pierre Bourbeau
Administrateur
Histoire et Archives Laurentides